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Nazir Ahmad Nazir


Nazir Ahmad Nazir



Né en 1983. Venu d’un village, il est ouvrier dès l’âge de sept ans. Aujourd’hui étudiant-journaliste. Il écrit en pachtoun. Poèmes traduits en atelier, à Kaboul et à Bamyan, par Henri Deluy, Liliane Giraudon, Mansour Saljoqi et l’auteur



« Je m’appelle Nazir Ahmad Nazir et mon prénom est aussi mon nom. Je suis le fils de Nawaz Khan. Je suis né à Logar, au sud de Kaboul, en Afghanistan, en 1983.
Je n’avais que trois ans et demi quand mon père est mort. Il était un travailleur des carrefours (un de ceux qui attendent au carrefour, leurs outils à leurs pieds, qu’un entrepreneur vienne les embaucher). Après sa mort, ma mère s’est occupée de tout. Elle est devenue couturière à domicile, gagnait un peu d’argent pour nous faire vivre. Elle gagnait aussi de l’argent en cousant des pièces de cuir sur des vêtements féminins. J’ai grandi ainsi, petit à petit, jusqu’à ce que je sois assez grand pour aller à l’école. Ma mère était illettrée mais elle a voulu que j’aille à l’école. J’étais en troisième année ; j’avais neuf ans ; j’ai commencé à travailler. D’abord j’ai commencé en vendant des œufs. Puis, j’ai accompagné mon oncle maternel à Kaboul où il occupait un poste officiel. Je vendais des choses en gros pour les marchands et gagnais un peu d’argent. Puis mon oncle m’apportait des chaussures d’occasion trouvées à Kaboul et je les vendais au village d’une maison à l’autre. Souvent aucune femme ne sortait pour m’en acheter, ma voix était tellement basse, comme celle d’un petit enfant, et les femmes pensaient que c’était un enfant qui se moquait d’elles, en criant. Quand une femme voyait que c’était sérieux, que j’avais vraiment des chaussures à vendre, elle prévenait les autres femmes. Parfois des femmes prenaient des chaussures et pour m’embêter, elles les cachaient sans me payer. Je restais devant la porte en criant et pleurant, elles me les rendaient ou quelquefois ne me les rendaient pas. Plus tard, j’ai vendu des pull-overs, puis, plus tard encore des légumes.
J’ai grandi. Je ramassais des buissons d’épines dans la montagne pour les vendre. Après j’ai commencé un autre travail : je coupais des arbres au bord de la rivière, pour rendre des terres cultivables, et je gagnais ainsi de l’argent.
J’ai encore grandi, un peu, et ma famille a déménagé, du village à Kaboul. Entre notre village et Kaboul, il faut environ deux heures et demi de voiture. À ce moment-là, à Kaboul, c’était la période des talibans.
J’ai fait un tas de petits boulots, à Kaboul. Par exemple, pendant les vacances d’hiver, je travaillais sur des chantiers pour monter le béton, et faire tout ce qu’on me demandait, comme manœuvre. En échange de ce travail, je gagnais seulement cinq kilos de blé par semaine. En même temps, j’étais obligé de travailler dur à l’école aussi, mais comme j’étais souvent absent, j’ai failli plusieurs fois échouer aux examens ; je me faisais des fausses ordonnances de médecine pour ne pas être exclu à cause de mes absences nombreuses ; une fois, j’étais tellement pauvre que je n’avais même pas l’argent pour prendre le bus pour aller dans la ville et je faisais le chemin à pieds, pendant une heure. J’ai été obligé, à un moment, de travailler comme cuisinier dans un centre d’espionnage taliban. On me payait en me laissant ce qui restait à manger, après eux, pour que je l’emporte dans ma famille, où tout le monde avait faim. Mais même à ce moment-là, je n’ai pas quitté l’école. J’étais en neuvième (troisième en France). Comme cuisinier, je devais préparer le petit déjeuner, le déjeuner et le dîner. J’étais obligé de me lever avant l’aube, pour marcher pendant quarante cinq minutes jusqu’au local des talibans. Je mettais d’abord l’eau à bouillir pour préparer le thé, entre temps, je partais pour la boulangerie, à quinze minutes du poste des talibans, pour acheter le pain ; au retour je faisais le petit déjeuner, puis je prenais mon petit déjeuner. Je dois dire qu’un des talibans du poste était du même village que moi, il m’a beaucoup aidé, surtout pour que je puisse continuer à aller à l’école. En rentrant de l’école, je préparais le déjeuner. Puis je m’occupais des courses pour le lendemain (les légumes, les oignons, les pommes de terre, le reste…), pour les repas du dîner et du déjeuner. Puis je préparais le dîner. Parfois, il restait quelque chose, parfois il ne restait rien et ma mère restait sans manger, affamée, pour la nuit, au moins. C’était moi aussi qui lavais le linge. Puis, après les changements, pendant le gouvernement de Hamid Karzai, j’ai repris le poste au carrefour pour trouver un travail quotidien ; j’attendais un travail dans la construction et ne trouvais pas souvent, j’étais petit et personne ne me prenait. Puis les journaux et les médias ont changé et ça m’intéressait beaucoup. J’aimais écrire des articles, je me suis mis à en écrire et je gagnais ainsi un peu d’argent. Mes premiers articles sont sortis dans l’hebdomadaire Kilid.
J’avais commencé à écrire des poèmes à douze ans.
Après le bac, j’ai travaillé encore dans la construction – pour un hôpital de quatre cents lits. J’ai passé l’examen pour entrer à l’université de kaboul. J’ai réussi. J’écrivais des articles la nuit. J’ai commencé à travailler pour le magazine Gourbat, un magazine patchoun, sur le thème de la « société ». Puis j’ai commencé à travailler pour Radio Liberté, pendant huit mois, puis j’ai rejoins l’équipe de la BBC, où je travaille sur des projets éducatifs. Je suis en troisième année de journalisme, à l’université de Kaboul. »

Traduction du pachtoun, Mansour Saljoqi


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Avant la guerre, après la guerre




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