MANIFESTATIONS

Peter Gizzi, Stéphane Bouquet


Duo


le samedi 21 mai 2022, à 15h30

leurs fiches
Stéphane Bouquet, Peter Gizzi



« J’ai commencé à traduire Peter Gizzi parce que j’aimais sa poésie bien sûr, mais j’aimais sa poésie parce que j’y entendais à l’œuvre un lyrisme étrangement contemporain. Un lyrisme si l’on veut d’après la catastrophe : le monde a subi des coups, des chocs, des accidents. La preuve, les choses dans ses livres sont souvent cassées, défaites, brûlées, abîmées. « La maison se délabre ». Et pourtant il faut continuer à vivre et peut-être à aimer et sans doute à mourir. La poésie de Peter Gizzi est donc lyrique parce qu’elle dit la « stupéfaction » du sujet je mais aussi du citoyen Gizzi devant l’état du monde, l’état de son pays, de sa famille, de ses relations amoureuses, de la misère de son corps. 
Le « Je » qui se promène, souvent désespéré donc, dans les recueils de Peter Gizzi semble avoir perdu toute relation avec le monde mais aussi avec lui-même. « J’ai perdu le signal »  dit-il dans un de ses textes. Mais aussitôt vient la solution : « alors j’ai pensé que j’allais écrire un poème ». Peter Gizzi a mille façons de dire la même chose : «  Dans ma tête, un volant incapable de rien diriger d’autre qu’une chanson et tout le reste est survie — » 
Chanson est une façon fréquente pour Gizzi de dire poème : ses textes en effet chantent à leur façon. «  Je remanie les mots pour dire que tout ce qui est touché par la lumière se souvient de cette lumière. » Ils chantent, ils aiment certains mots plus que d’autres (le mot lumière), les refrains, les répétitions, le bruit de ferraille que font parfois les mots qui se cognent à contre-sons, les phrases intriquées qui font vibrer la syntaxe, les accumulations parce que le temps nous arrive dessus  « en salves d’adverbes » - en salves d’adverbes ou d’autre chose .
La poésie est donc la direction. Le volant. L'autoroute. Le satellite. La survie. 
Parce que, en vérité, le poème n’a pas renoncé au monde, il fait au contraire de son mieux pour lancer son propre signal, même faible, pour tracer sa propre route, même boueuse, et pour trouver une façon de pénétrer à nouveau dans le monde afin de s’y tenir un peu, au moins un peu.
On tombe souvent dans ces pages sur le mot « standing » : débout, ici, debout dans les choses. Cet effort, ce combat pour ainsi dire, afin d’être, de rester debout, est à mon sens une des grandes émotions que procurent les poèmes de Peter. »

Stéphane Bouquet, 21 avril 2022