EXPOSITIONS

John B. Cornaway (1957-1994)


« Météore du Textimage »


du samedi 6 mars au samedi 3 avril 2004

Exposition consacrée à
John B. Cornaway



Présentation :

« Ce que j’adore, c’est leur sucer les doigts... »

Dieu sait pourquoi d’heures de conversation avec John B. (Cornaway), seule cette phrase me revient sans que je sache de qui il adorait sucer les doigts, et cela résume assez la (mé)connaissance que j’ai d’un être que j’ai un temps (années 1982-1985) souvent côtoyé. D’ailleurs, celles et ceux que j’ai interrogés en préparant cette exposition et ce dossier ont toutes et tous mis en avant cette part d’ombre, cette face secrète. Autant John B. pouvait être d’un abord facile, souriant et chaleureux, enthousiaste en se lançant dans une conversation avec autrui, s’emballer et s’associer à un projet artistique, autant l’huître pouvait-elle se refermer rapidement, autant pouvait-il s’éclipser sans préavis d’une soirée, voire disparaître des jours, des semaines durant sans donner signe de vie, puis reparaître comme du jour au lendemain et vous aborder comme s’il vous avait quitté la veille.

Cet aspect fuyant et quelque peu impersonnel du personnage donna d’ailleurs lieu à des incidents dont celui de sa présence à la soirée Hercule de Paris du 13 décembre 1984 au centre Georges Pompidou dans le cadre de la Revue Parlée animée par Blaise Gautier (cf. Interview ci-après). Rencontre C’est au printemps 1982 à Paris que je croisai pour la première fois John B. chez Hubert Lucot alors rédacteur en chef de l’encyclopédie Quillet et employeur à ce titre de poètes et hommes de lettres (Emmanuel Hocquard, Jean-Marie Turpin,...) pour rédiger des articles, un excellent exercice de style rémunéré. Un midi où j’arrivais rue des Tournelles, Hubert Lucot me présenta John B. qui en sortait. Je ne retins guère de cette prise de contact que le flegme voire la froideur avec lequel le personnage avait répondu à mon chaleureux salut, ou peut-être n’avait-il pas compris le sel de la gentille boutade que je lui avais adressée quand H.L. me l’avait présenté comme Australien : « De quoi faire se retourner Diderot, D’Alembert et consorts dans leurs tombes... » Peu de temps après, au vernissage d’une exposition de l’artiste d’origine boulonnaise Franck Longelin, je revis John B. en compagnie du night-clubber Alain Pacadis et nous nous trouvâmes cette fois pour féliciter de conserve celui-ci de son adaptation en bandes dessinées de l’album Berlin.

Hercule de Paris
En 1992, je lançais les activités éditoriales Hercule de Paris : revue, recueils et bulletin d’information sous forme de publications photocopiées et gratuites au tirage limité à cent exemplaires. Or John B. venait de réaliser Héligoland, un ensemble de cent pages de textimages (montages de bribes de textes dactylographiés ou imprimés, de photos, d’images) se prêtant tout à fait à la photocopie et au projet H2P. Cet Héligoland devait initialement prendre place dans la mythique collection Unfinitude dirigée par Angeline Neveu (Ed. Nèpe à Ventabren), qui, faute de moyens, venait de cesser. Héligoland fut ainsi la première publication emblématique de l’aventure Hercule de Paris (1982-1992) déjà porteuse d’un des principes du projet : tirage réparti par tiers entre l’auteur, l’éditeur et le « service de presse » assuré par celui-ci. Dès lors, exposer au cipM les cent pages d’Héligoland est apparu incontournable autant que représentatif de l’œuvre de John B. Comme vous pourrez le lire dans la bibliographie de ce dossier, John B. participa, entre autres, à de nombreuses publications H2P jusqu’en 1985, jusqu’à disposer d’une collection (Private Joke) destinée à regrouper ses collaborations avec des poètes, plasticiens et photographes (Didier Patte, Christophe Petchanatz entre autres) dont il était friand, mais il semble que, face à une certaine institution-nalisation, le caractère fuyant du personnage ait pris le dessus et lui la clef des champs, à moins que les nécessités matérielles l’aient conduit à profiter de son parfait bilinguisme (né en Australie de père anglais et de mère française) pour accepter un poste de répétiteur à temps plein à l’université de Norwich en Grande-Bretagne où il se rendait déjà régulièrement auparavant, empruntant « non sans délices » le service d’aéroglisseurs reliant alors Calais à Douvres. Je n’eus guère plus de nouvelles avant 1992, où le hasard d’une soirée de lectures au cipM (alors sis au couvent du Refuge) nous réunit de nouveau momentanément, le temps de lui confier l’idée du projet destiné à succéder à H2P : les publications Patin & Couffin qui l’enthousiasmèrent suffisamment pour que, peu de temps après, rue Honnorat où je logeais, je reçusse par la voie postale Séquelle, œuvre courte, sibylline, tragique bien que non sans humour, qui devint le premier titre paru à l’enseigne de Patin & Couffin, réédité pour la présente exposition et offert à chaque visiteur, visiteuse. John B. réalisa également spontanément (sans demande de ma part) deux pages de publicité pour les publications Patin & Couffin qui furent publiées en dernière page des numéros 24 et 25 du Cahier du Refuge (cf. fac-similés ci-après).

Du texte au textimage
La première apparition éditoriale de John B. Cornaway est un dialogue d’une page intitulé This pisciculture was privative évoquant Erik Satie publié en octobre 1982 dans le numéro 23 de Tartalacrème, la revue animée par Alain Frontier et Marie-Hélène Dhénin, à laquelle John B. collabora trois fois, notamment pour cinq poèmes, sortes de croquis sur le motif en vers libres, parus en août 1983 dans le numéro 28. Après cela, toutes les publications de John B. associeront images et mots, soit au travers de collaborations avec des graphistes, des plasticiens, des photographes, voire d’autres poètes, soit de son propre chef dans des pages mêlant en des montages peu soignés des bribes de textes et d’images découpés dans la presse à ses propres phrases manuscrites ou dactylographiées. John B. tenait à ces montages non fignolés pour affirmer sa méfiance si ce n’est son rejet d’une idéologie de la netteté dont les images publicitaires lisses, léchées, retouchées sont archétypales. Les plus trash (et abouties) de ses compositions figurent dans quelques livraisons de la revue Devil / Paradis animée à Charleroi par Thierry Tillier qui publia d’ailleurs en avril 1986 (D/ P no 16) la dernière apparition éditoriale de John B., six pages datées de 1985, dédiées à John Cale, mêlant Eros et Thanatos, intitulées Story. Notons en passant la propension certaine de John B. à user de son bilinguisme sans retenue, ce qui le faisait apprécier un poète comme Joseph Guglielmi qui n’hésite pas à passer d’une langue à l’autre dans ses poèmes. Quant à la poésie visuelle, s’il goûtait le minimalisme d’un Pierre
Garnier, son admiration pour les travaux et le parcours de Jean-François Bory le menèrent jusqu’à en faire une référence en la matière. Il n’est donc pas étonnant que des pages de textimages furent publiées dans des revues représentatives de cette mouvance comme la Review Parade Interrationale d’Al Pavl (six fois entre juin 1983 et mars 1985) et Doc(k)s (No 66) de Julien Blaine. Enfin, mises à part deux pages ponctuelles pour Trans-Euro-Notte de Jehan van Langhenhoven et Voluptiare Cogitationes de Michel Deux, il faut signaler son poste de rédacteur en chef de la livraison en août 1983 de Toi et Moi pour Toujours, revue des graphistes Jacques-Elie Chabert et Camille Philibert, où l’on retrouvait la fine-fleur de l’époque : Bruno Richard, Pascal Doury, Placid, Muzo... Il m’avait cependant confié avoir été un peu déçu par cette expérience avec des graphistes qui avaient, à son goût, une tendance fâcheuse à rendre par leurs manipulations les textes peu lisibles. De même s’était-il toujours méfié des lectures et performances en public malgré ses participations répétées (1976 à 1979) au festival international de L’Estartit en Catalogne. On connaît également de lui son implication avec Didier Patte à la galerie Dunlopillo au printemps 1985 dans l’exposition Objet : Femmes dont quelques collages figurent dans la présente exposition, mais sans les sommiers et matelas qui participaient alors du projet...

Deep Town (Dieppe)
En 1995, je reçus un courrier de la mère de John B. m’informant du décès de celui-ci l’année précédente à Ipswich. En rangeant les affaires qui lui avaient été remises, elle avait trouvé mon adresse parisienne et un titre de propriété au nom de John B. pour un local de huit mètres carrés rue de l’Ancien-Hôtel-Dieu à Dieppe, ce que j’ignorais bien que villégiaturant régulièrement en ce port normand. Le hasard n’avait pas cette fois guidé nos pas l’un vers l’autre, mais, après réflexion, j’émis l’hypothèse que John B. ne devait, dans ses trajets entre la France et l’Angleterre (Dieppe et Newhaven sont reliés par ferry-boat), que transiter en ce local sans commodités. Elle me demanda de visiter le lieu et de le vider avant qu’elle le mette en vente. À son intention, je dressais l’inventaire suivant : quelques galets probablement ramassés sur la plage, une collection de porte-clefs, une paire de Weston noires usées, une paire de Paraboot marrons usagées, une étagère avec quelques brosses, pinceaux, pots de peinture et de vernis entamés, des chiffons, une parka doublée, un bonnet de couleur bordeaux, deux assiettes à dessert, un couteau, une fourchette, une petite cuillère, un mug Mrs Tussaud’s, une bouteille de gin presque vide, quelques chaussettes dépareillées, un pull en shetland, une chemise en coton au col élimé, un short kaki, un vieux piano noir désaccordé, deux séries de deux peintures monochromes sur toile, rouge pour l’une, blanche pour l’autre, des collages Objet : Femmes, des esquisses au fusain et à la sanguine sur papier dessin épais représentant une courbe allant du bas gauche vers le haut droit des feuilles, une brosse à dents, deux bouteilles d’eau de source, une toile signée Pacadis représentant deux fois Elisabeth Taylor dans le rôle de Cléopâtre allongée sur un sofa encadré par deux bouteilles vides d’une célèbre boisson gazeuse des U.S.A. et, au mur, une carte d’Australie, ce pays qui l’avait vu naître, dont il avait gardé la nationalité sans y être retourné. En accord avec sa mère, j’ai tenu à ce que certaines des traces « dieppoises » de John B., « météore du textimage », figurent, en plus de fragments de son œuvre, dans l’exposition qu’Emmanuel Ponsart et le cipM ont bien voulu accueillir pour saluer sa mémoire, ce qu’à ma façon j’avais déjà fait en donnant pour nom Cornaway à un trimestriel gratuit qui s’efforça, entre 1995 et 2000, de présenter les différentes facettes de l’activité poétique marseillaise.




voir aussi :
John B. Cornaway (1957-1994) - « Météore du Textimage » (Manifestations)


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