EXPOSITIONS

Bernard Plossu / Patrick Sainton


Écrivains de rencontre


du samedi 15 novembre 2008 au samedi 24 janvier 2009

Exposition prolongée jusqu'au 14 février 2009

Bernard Plossu, Patrick Sainton







Bernard Plossu et Patrick Sainton, tous deux artistes, l’un d’abord photographe et l’autre surtout dessinateur, sont entrés dans une conversation qui a donné plusieurs expositions communes. Il ne s’agit ni d’une oeuvre à quatre mains ni d’un duo comme il en existe dans l’art contemporain, mais d’un tressage, d’une articulation proposée entre deux oeuvres différentes découvrant leurs affinités et jouant sur leur complémentarité. Alors de quoi parlent-ils ensemble ? De ce qui les rassemble tout d’abord par l’amitié : le goût des traces, du furtif, de l’allusion, du passager, le goût du voyager léger, même si s’agit du voyageur dans sa chambre, et une façon de travailler indissociable du quotidien. Des deux, on dirait qu’ils ont des fonctionnements d’écrivain tellement l’intendance compte peu dans leur travail d’artiste. C’est qu’ils évoquent plus par le peu, demeurant en appel, qu’ils ne campent ou incarnent avec des objets, des matières. C’est qu’il leur suffit parfois d’un indice pour faire résonner la mémoire. Ils sont tous deux attachés à une intériorité qui, dans le cas de leurs portraits d’écrivains, n’a rien à voir avec de la psychologie ni de la spiritualité. Cet espace intérieur, c’est celui où résonne le texte des écrivains portraiturés. Les deux artistes donnent à percevoir son écho. Ce qu’ils partagent d’abord entre eux, c’est leur lecture. Nous sommes devant un visage indéchiffrable dont nous percevons le ton comme un sous-titrage, une VO. Il prend sa véritable dimension parce que le texte lui donne son aura. Nous ne parlons pas d’aura glorieuse, juste d’un petit espace de rayonnement à basse tension. Surtout pas la charismatique des curés, ni l’icône, encore moins l’idole. Pour preuve que la lecture est leur conversation première, les deux artistes travaillent en noir et blanc. Ils n’ont pas besoin de la couleur, sinon quelques rehauts chez Sainton, parce qu’ils visent la lettre ou le chiffre. Ils utilisent des images, des figures, mais jouent avec elles une dialectique singulière, celle du clos, du caché. Pas d’image chez eux n’indiquant pas ceci : ce qu’il y a voir est à déchiffrer. Un visage témoigne du sous-jacent, des dessous de l’iceberg. Son épaisseur réside dans un dedans que les deux artistes accueillent. Matrice du silence. Par exemple, le visage de Perec par Plossu est la double page d’un livre. La plus tremblée est du monde des ombres. Visage page ? Si pâle que, pour Sainton, tous les artistes portraiturés par une trace, un trait, un collage, un adhésif, un fragment de citation biffée, nous ont déjà quittés. Tombe la face. Remonte la parole. Il n’y a rien de moins glorieux que ces portraits anthumes ou posthumes. Ce sont des monuments paradoxaux parce qu’indiquant des fragilités. La stèle est fagotée comme les commémorations des accidentés au bord des routes ou l’avis de recherche d’un matou. Jamais devant un de ces visages d’écrivain, nous n’emploierions la formule candide : Je lis dans ton visage comme dans un livre. Au contraire, le texte en rumeur qui tient et architecture le visage produit une question illisible adressée au temps. Plossu et Sainton ne partagent pas que le goût de la lecture, ils ont aussi, comme tous les autres humains, une affaire encore plus énorme à se coltiner, avec des stratégies différentes, celle du temps. Ce qu’ils confrontent ensemble, c’est le temps propre au dessin avec le temps propre à la photo. Ce sont deux dépêchés, deux immédiats qui ont l’esprit de l’escalier et du retour. Ce que l’on fait ne prend son sens que par la mémoire, le deuxième regard, le travail du temps. Laisser infuser les enfants du tiroir. Le deuxième regard, c’est la lecture. On a agi rapidement, déclenché, collé, griffonné, guère su ce que l’on faisait. Puis le temps a fait son travail de mise en place. C’est le temps qui va permettre aux écrivains de passer de l’illisible au lisible. Ce qui fascine les deux artistes, c’est ce pari sur le temps et sur la mort. Dans leurs portraits d’écrivains, ce que Plossu et Sainton font remonter n’est pas de l’ordre du biographique mais de la permanence. Ils montrent la vanité de cette volonté de permanence et en même temps sa force. Quelque chose de cousu de fil blanc tient par la phrase qui est le fil maintenu de la présence au monde. Chez Sainton, cela se donne par bribes d’allusions culturelles réanimées par un geste, un trait. La tache, l’empreinte, ré-injectent de la vie dans l’image effacée. Chez Plossu, cela se traduit par le floutage, le tremblé des reflets et des doubles (la surimpression du portrait de Bernard Noël). Mais, pour les deux amis, le plus délicat doit résider dans la construction de l’accrochage de leurs expositions communes pour que leur conversation prenne visuellement, plastiquement, grâce à des glissements et des digressions. Et là, c’est toute l’intelligence de leur lecture des images venant par dessus celle des textes qui permet un agencement fait de minuscules rebondissements sémantiques ou formels. Un tissage en somme, donc un autre texte.

Frédéric Valabrègue






© Jean-Marc de Samie




voir aussi :
Bernard Plossu / Patrick Sainton - Écrivains de rencontre (Manifestations)


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