ÉCOLE DU CIPM

Enseignement supérieur

Se faire chier


L’expérience de la lecture - workshop destiné aux étudiants des Beaux-Arts de Marseille (INSEAMM)


De février 2023 à mars 2023

Animé par
Antoine Hummel

© DR



Coordonné par Cécile Marie Castanet



Le travail sera tout entier dirigé vers une activité bien connue mais souvent négligée, qui se déploie dans des régions de l’espace et du temps réputées stériles, et à laquelle on tentera de trouver une positivité : se faire chier.

Objets d’une expérience pédagogique d’ampleur générationnelle, nous fûmes élevé⋅e⋅s sous le précepte qu’il est bon pour l’enfant de s’ennuyer un peu, que ça nous apprendra la patience et la variété des reliefs temporels. Alors nous nous fîmes chier – longtemps, profond. Et parmi nous il y en a même qui se firent tant et si bien chier qu’on les oublia dans leur chambre au moment où tout le monde se mettait en rang pour se faire diagnostiquer son TDAH. Mais, à l’adolescence, se faire chier s’agrémente de drogues douces, puis dures, voire disponibles en pharmacie ; se faire chier prend des proportions ingérables et on finit par nous pousser, assez soudainement et plutôt dans le dos, à « l’action », alors qu’on avait béni jusque-là le calme reposant de nos chiances. Irrité désormais par notre chiance infinie de gluance et de flemme, on nous empoigne, on nous secoue, on nous déloge de nos chambres, on nous extirpe des vapeurs de shit et, objets d’une expérience humaine d’ampleur épocale, on nous colle un SIRET – car l’action à laquelle on nous pousse s’appelle « entreprendre », un mot bizarre qu’on a vu passer dans les tragédies au programme (« J’ose tout entreprendre, et puis tout achever »). On nous somme d’entreprendre, alors on s’agite, entrepreneurialement, avec polyvalence, avec initiative, on prend l’air de gérer et de faire quelque chose, et d’avoir une mission, un propos, une tâche, une opinion… – mais en fait on se fait chier. Inutile de nous amadouer, inutile de gratifier notre chiance de noms dignes d’intégrer le programme (désœuvrement, langueur, désertion…). Nous ne chérissons pas spécialement notre chiance. Nous savons comme tout le monde qu’il est préférable d’avoir quelque chose à faire, quelque chose à dire, quelque chose à vivre ; nous vivons dans la pleine conscience qu’il y aurait mieux à faire mais, quand même, nous ne faisons rien, ou pas grand chose, et avec peine et sans constance, et ça, ça s’appelle vraiment se faire chier – qu’est-ce qu’on se fait chier ! – et on se fait d’autant plus chier qu’il y aurait mieux à faire.