MANIFESTATIONS

La soirée des Usagers du cipM

La revue L'Ennemi, de Gérard-George Lemaire


Usagers 2006


le vendredi 23 juin 2006, à 19h

présentation :
Jean-François Bory

Lectures et débats avec :
Gérard-Georges Lemaire, Véronique Durousseau, Ana Becciu

à gauche : couverture de L'Ennemi, par Cy Twombly
à droite : calligramme de Jean-François Bory



La revue L’Ennemi est un cas exceptionnel parmi les revues brouillonnes ou précises parues dans les années 1980/2000. En effet c’est la seule (la seule et unique) revue non partisane et non brouillonne a avoir paru dix-sept ans de suite, sans interruption, chez le même éditeur : Christian Bourgois. En outre cette revue ne s’est jamais autorisée de changement de cap.
On comprendra alors que son titre initial : L’Ennemi ait été particulièrement bien choisi dès le départ. Car que d’ennemis, assurément, quand on fait une oeuvre collective sans changer de cap. Et quiconque a fait une revue sait le nombre de rancoeurs, de vanités blessées, d’incapables indignés d’être refusés, de compétents indignés que la ligne générale de la revue ne se plie pas à leur point de vue. Quiconque a fait, fait ou fera une revue se heurtera à ce premier mur. Si je prends la liberté d’en parler de façon aussi tranchée, c’est que je sais, par expérience, ce dont je parle. Rien n’est plus dangereux finalement que de vouloir le bien des autres.
Tristan Tzara disait : « Je fais une revue pour rencontrer des amis ». Pour ma part, avec L’Humidité, je n’ai rencontré en huit ans de publications, que des fâcheux, des capricieux, des montagnes-de-lumières-et-de-vanités, mais pas le moindre ami ! J’espérais, sans doute trop, une naïveté d’enfance peut-être trop longtemps gardée, ou bien alors, peut-être, avais-je tout simplement, à l’époque, un caractère aussi atrabilaire que la plupart des gens que je publiais. Toujours est-il que la question de Tristan Tzara posée à Gérard-Georges Lemaire quelques dix ans après que sa revue ait cessée de paraître : « t’es-tu fais des amis comme Tzara le souhaitais en faisant sa revue ? » La réponse fut : « Oui, je m’en suis fait quelques-uns et j’en suis fort content. » Je me réjouis de cette réponse. Car outre la plupart des poètes extrêmes contemporains (là il ne s’est pas fait des amis) que Lemaire a publié dans L’Ennemi, il y a fait découvrir presque toute la « Beat Generation » qu’il a ensuite publiée, plus longuement — souvent des textes dans leur totalité — dans sa collection « Les derniers mots » toujours chez l’éditeur Christian Bourgois.
La grande particularité de la revue L’Ennemi est d’avoir toujours mêlé textes du passé et textes du présent. Ainsi, avec des dossiers consacrés à la poésie contemporaine comprenant par exemple Jean-Noël Vuarnet, Jean-Christophe Bailly, ou Bernard Heidsieck et Henri Chopin (pour prendre quelques noms en exemple) ; il plaçait dans le même numéro un dossier consacré au « Vorticisme » ou à « L’École de Ferrare », étaient joints à cela des inédits, traduits par lui-même, souvent rarissimes, tels des textes de Windham Lewis ou de Stefan Themerson sur Kurt Schwitters (récemment repris froidement, sans la moindre indication d’origine ni de traduction dans le livre « Archives Dada » publié chez Hazan par Marc Dachy).
Vous voyez qu’il en faut du caractère (du bon caractère) pour faire une revue ! L’Ennemi, sous une admirable couverture de Cy Twombly, entremêlait aussi des dossiers sur les peintres contemporains tels que Daniel Dezeuze, Gérardo Dicrola, Marco del Re, Claude Viallat, Gérard Garouste, et tant d’autres... et tant d’autres... et tant d’autres... La chose la plus singulière est que L’Ennemi exemplaire, par excellence, de toutes les tentatives de représentation de la contemporanéité de la vie artistique et littéraire de la fin du XXe siècle, n’ait — mis à part un grand succès d’estime — jamais eu une audience très large. Mis à part une indéniable audience littéraire.
Le 23 juin, une vitrine autour de la revue L’Ennemi et des lectures et débats vous feront — nous l’espérons — revivre quelques moments spécifiques de cette aventure exceptionnelle.




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