MANIFESTATIONS

Toni Negri


dialogue avec Giorgio Passerone
sur Giacomo Leopardi


le vendredi 4 juillet 2008, à 20h00

Dialogue de
Antonio Negri

avec
Gorgio Passerone

A propos de Lent genêt, essai sur l’ontologie de
Giacomo Leopardi



En partenariat avec FIDMarseille & Alphabetville



Préface à
Lent Genêt - Essai sur l’ontologie de Giacomo Leopardi
Est-il possible de développer un discours qui soit à la fois philosophique, poétique et politique à propos d’un auteur de la grandeur de Leopardi ? Est-il possible de s’engager dans une lecture qui fasse de la rencontre paradoxale entre critique philologique et critique philosophique la ligne d’une interprétation politique du poète qu’est Leopardi. Tel est l’objectif poursuivi par ce livre.
Ce livre est né dans d’étranges conditions. Je commençai à relire Leopardi (un auteur de prédilection de mon adolescence) en prison. Cette lecture me contraignit ironiquement (mais pas seulement) à me confronter à une situation analogue de solitude théorique et de défaite politique. En même temps que Leopardi, je lisais le Livre de Job. Pourtant ni l’un ni l’autre de ces textes ne me poussaient vers des conclusions pessimistes vis-à-vis de la solitude et de la défaite. Pourquoi ? Le Livre de Job, cette formidable pâte mythico-théologique, était parcouru par une instance immanentiste et une perception de l’éternité qui brisaient toute détermination catastrophiste et/ou eschatologique : dans la douleur et dans la solitude, Job « voyait », et ainsi se réappropriait son Dieu. Dans le gigantesque Zibaldone où il exprimait sa pensée, ponctuellement interrompu et illuminé par de prodigieuses pièces poétiques, Leopardi construisait un discours philosophique et politique entièrement
ouvert sur l’à-venir. Là où la douleur et la solitude deviennent la condition réaliste de la vie, il est possible d’ouvrir un espace d’espérance, d’inventer une désutopie active et d’entrevoir une praxis constitutive d’un monde nouveau : ainsi, Leopardi se réappropriait son Dieu. Cette lecture de Leopardi me fut utile pour résister. Mais était-elle vraie, était-elle adéquate à la réalité dans laquelle se mouvait sa poésie ?
À ma sortie de prison,À ma sortie de prison, au commencement d’un long exil en France, dans la crise qui au milieu des années quatre-vingt nous touchait tous, j’eus la possibilité de confronter cette intuition de lecture à l’étude de la littérature considérable produite à propos de Leopardi. Il s’agissait de la traverser sans en devenir prisonnier. La situation non académique dans laquelle cette recherche s’est développée m’a aidé à conduire ce travail jusqu’à son terme. Cette traversée était mue non seulement par une passion politique en train de renaître, dans la tristesse de la condition historique de l’époque (les années quatre-vingt), mais aussi par la confiance dans la possibilité de renverser les interprétations proposées par les écoles positivistes et/ou idéalistes du « poète poitrinaire » à travers la réponse à une série de questions que le présent me soumettait. Comme nous l’ont enseigné Auerbach, pour la littérature, et Deleuze, pour la philosophie, seule l’interrogation portée sur le présent ouvre un schéma d’interprétation capable de traverser la réalité poiétique – qu’elle soit poétique ou philosophique – sans en dissiper la qualité historique, mais en en reconquérant, dans la volonté de « faire la vérité », la puissance constructive. La tentative me paraît avoir abouti : découvrir la vérité de Leopardi supposait de le restituer au présent. Et de fait, Leopardi lui-même incitait à cette restitution. En lui, je découvrais avant tout la rupture avec la tradition littéraire et philosophique italienne, avec une continuité cléricale et réactionnaire, ici attaquée (dans la première phase de sa pensée et de sa poésie) d’un point de vue résolument matérialiste. Les Lumières rentraient, tardivement mais puissamment, en Italie, non plus caractérisées par un vague réformisme hérité du XVIIIème siècle, mais avec la force d’une riposte matérialiste et révolutionnaire à la crise de la Révolution française. En second lieu, je trouvais chez Leopardi un rapprochement progressif de la pensée romantique, non sur le mode de la répétition mais du dépassement, en tout cas du déplacement : l’histoire et les problématiques d’une renaissance italienne, la nécessité de recomposer une centralité culturelle du pays, n’étaient pas développées en termes dialectiques, mais ouvertes sur l’horizon d’une pratique constitutive. Cette supériorité de la praxis, cette espérance active brisaient toute possibilité d’une médiation avec le passé. Le soi-disant « pessimisme » léopardien constituait un terrain réaliste, sans fioritures ni illusions. La critique (une partie d’entre elle, celle qui va de Nietzsche à Luporini) a su appréhender la rupture cruciale de la dialectique qu’il opérait. Mais cela n’était pas suffisant.
Cette rupture, et le dépassement de la dialectique, ouvrent – sous l’impulsion de la praxis – à l’expérience de l’imagination. Une imagination qui construit des mondes nouveaux. En réinterprétant les Lumières et en outrepassant la dialectique, le matérialisme léopardien offrait un horizon parcourable, une alternative au moderne au coeur de la crise du moderne. Cette voix d’une incroyable puissance, comme toujours, on tenta de la faire taire. Croce l’appelait le « poète bossu », comme Hegel qualifiait Spinoza de « philosophe phtisique ». Étrange rapprochement ? Pas tant que cela si l’on songe que, comme Spinoza l’entreprit, au moment de l’émergence de l’âge moderne, Leopardi, à l’amorce de son déclin, articule une hypothèse « autre » de la modernité et l’imagination d’une vie libérée de la misère de la domination, capable d’amour.
[...]
' ' ' Cahier du Refuge 171 ' ' '




lire aussi :
171 (Toni Négri)


écouter :
Toni Negri - Leopardi - extrait