MANIFESTATIONS

La revue "Il particolare"


Dossier Jean-Luc Sarré


le vendredi 13 novembre 2009, à 19h00

Présentation :
Hervé Castanet

Présentation du dossier :
Jean-Pierre Boyer

Lectures, interventions :
Jean-Luc Sarré, Christian Garcin, Jean-Baptiste Para, Anne-Christine Royère



Présentation :

[…]
Quand l’analysant parvient-il à la poésie ? Quand l’analyste produit-il un effet de poésie ? Quand la psychanalyse devient-elle poésie, soit écriture ? Répondre à ces questions c’est introduire un nouveau concept : la lettre, le littoral – qui n’est ni le signifiant ni l’objet –, et en tirer quelques conséquences. Dans « Lituraterre », Lacan décrit ce moment où la lettre se construit : « Est-il possible du littoral de constituer tel discours qui se caractérise de ne pas s’émettre du semblant ? Là est la question qui ne se propose que de la littérature dite d’avant-garde, laquelle est elle-même fait de littoral : et donc ne se soutient pas du semblant, mais pour autant ne prouve rien que la cassure, que seul un discours peut produire, avec effet de production. » C’est lorsque les semblants ordonnés par les jeux signifiants se cassent, que la lettre-littoral émerge. Cet effet, dans la littérature, crée donc la poésie d’avant-garde – cet effet, dans la cure, crée un analysant d’avant-garde, soit un analysant qui lituraterrise, et un analyste qui, comme le poète, réalise « ce tour de force de faire qu’un sens soit absent ».
À cet enjeu, un poète, Christian Prigent, donne une définition forte : la poésie est Symptôme. Pourquoi ? Parce que « le savoir [de] la langue, qui nous fait hommes, nous délivre du monde en prétendant nous le livrer [...] la “poésie” est le lieu névralgique d’exposition et de traitement de cette contradiction qui structure le parlant [...] ». Cet affrontement avec les contradictions de la langue a des effets de sujet. Par la langue, ils seront consignés. « L’écriture donc est une trace où se lit un effet de langage » ; voilà ce à quoi Prigent se soumet. Mais quel est ce savoir réduit à une proposition ? Que l’âme est un des noms de la cause et qu’à s’immiscer au creux des chairs qu’elle fait corps, le rapport sexuel est désormais impossible. Le corps se décompose et tout à la fois est désirant : l’âme, dit Lacan, est « l’identité supposée » du corps. La poésie de Prigent démontre en quoi cette identité n’est que désespérément supposée. Elle enseigne comme « ascèse ».
[…]

Hervé Castanet, Sinthome, in le ' ' ' Cahier du Refuge ' ' ' 184, octobre 2009




Extrait :

Vautré sur le lit, dans une flaque de soleil,
j’ai levé les yeux de mon livre en entendant,
ce dimanche comme tous les dimanches quand il lui faut
regagner son institution spécialisée,
les borborygmes de l’idiot dans l’air d’avril,
puis la portière se refermer sur sa détresse
dont les râles étouffés me parvenaient encore
avant que la voiture ne s’engage dans l’allée
de marronniers, sombre couloir malgré ses fleurs,
alors j’ai repris ma lecture : « ...appelons ça
une chambre, j’y tiens, j’y tiendrai le temps qu’il faudra »
trouvé refuge dans le réconfort de cette phrase.

Le sommeil n’a de cesse qu’il ne m’ait éconduit ;
cette nuit n’a pas fait exception à la règle
mais quelques rares voitures circulaient sous la pluie
et le bruit était doux de leurs pneus sur l’asphalte.
Je poursuivais mon apprentissage du silence
tout en pensant à ces tours pendables que mon corps
ne cesse de me jouer depuis quelques années
convaincu qu’il m’en réservait de pires encore.
Renoncement, abdication, abjuration
me proposent aussitôt leurs services, mais j’aime voir,
et la lumière du jour ne devrait plus tarder.
Sans doute pourrais-je abjurer la poésie
si ce n’était ainsi abjurer le regard.
[…]

Jean-Luc Sarré, in le ' ' ' Cahier du Refuge ' ' ' 184, octobre 2009




lire aussi :
184


écouter :
"La pudeur comme trouble profond qui peut émaner de sa poésie" - à propos de Jean-Luc Sarré
"La saillie" - à propos de Jean-Luc Sarré
J.L.S. 1992 & 1997
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