MANIFESTATIONS

Claude Royet-Journoud - The Times Literary Supplement, peinture


Vernissage - lectures


le vendredi 28 janvier 2011, à 18h30

Vernissage de l'exposition consacrée à
Claude Royet-Journoud

avec
Claude Royet-Journoud, Alain Veinstein



C’était la guerre. J’avais trois ans et je fus pris d’une furieuse envie de tamponner la porte de la cuisine. J’y étais seul comme souvent. Je me saisis du timbre en caoutchouc. (Je revois le tank. Sa forme ramassée, agressive.) Je dus commencer par le bas de la porte et, ça y était, un mouvement me portait vers l’inconnu. J’y voyais sans doute une offrande à ma mère. (L’attendre était mon occupation majeure.) Elle verrait, elle apprécierait. Elle me verrait surtout ! Je me souviens aussi d’une chaise sur laquelle il me fallait grimper pour atteindre une hauteur jugée alors considérable. C’est ainsi que, dans les années 40, une porte devint quelque chose d’autre. Une étendue illimitée que je tentais en vain de contrôler. Ce fut, je pense, mon premier « gribouillis » d’une certaine ampleur. Et il m’arrive aujourd’hui d’y repenser. Je continue de manipuler des tampons. Plutôt des « Marilyn Monroe », à la jupe soulevée par le vent, que des tanks. Mais le geste est le même. Je prends de la couleur, j’y insère avec gaucherie un tampon qui laisse une silhouette écrasée dans la gouache encore fraîche. Je presse le papier, le plie ou le mets sous le jet d’eau de la douche pour y faire apparaître des signes inédits. Et me voici de nouveau en quête de naissances diverses, de formes apprivoisées, d’espaces à combler ou à définir. Tout cela va relativement vite. La vitesse est un enjeu de la pensée et du corps. Je n’hésite pas. Je sais ce qui va ou ne va pas sur-le-champ. D’ailleurs, très souvent, je vois mentalement ce que je souhaite réaliser ensuite. Je le vois : je le fais. Bien sûr, le résultat n’a pas grand-chose à faire avec cette première vision ! C’est un point de départ. Et sans lui (sans elle), rien ne se fait. Il y a là l’excitation et l’apaisement du geste. Et je ne sais pas pourquoi, à l’âge adulte, je n’ai pas renoncé à ce plaisir équivoque. Je ne suis pas peintre. (J’aime trop la peinture pour ne pas le savoir.) Et ça ne m’empêche nullement de continuer. De rentrer dans cette absence de temps où le corps s’allège de tout poids. Il paraît flotter. Les mouvements n’ont plus aucune attache. Ils ont leur vie propre. Et l’oeil pour seul guide.
[…]

Claude Royet Journoud, extrait d’un texte dit le 18 décembre 2006, Centro Galego de Arte Contemporanea, Saint Jacques de Compostelle




voir aussi :
Claude-Royet Journoud (Expositions)


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197 (Claude Royet-Journoud)


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