ÉCOLE DU CIPM

Interventions d'auteurs en milieu scolaire

Poésie durable


Atelier-résidence au lycée Pétrarque d'Avignon
Intervention en 2010 - 2011


De mai 2011 à juin 2011

Intervenante :
Dorothée Volut



Présentation :

Un lieu et temps d’écriture, celui que j’habiterai en posant mes affaires dans les Perm de Verre, en écoutant, regardant, écrivant et lisant.
Un lieu ouvert à la rencontre, aux échanges autour de la poésie : questions, recherches, partages, découvertes.
Un lieu où me trouver quand le besoin de poésie se fait sentir, sous des formes à découvrir ensemble...

Un programme de séances de lecture de poésie, un genre de ciné-poèmes, avec des thématiques, des jours et horaires, ouvert à tous (sur inscriptions ?).
Séances prolongées par un temps d’échange et un temps d’écriture libre sur support de cartes postales (exposées à la fin de la résidence).

Réalisation de livres-objets à partir d’une récup’ d’emballages labels biologiques (cartonnettes) lancée dans tout le lycée.
Livres crées à partir de la récolte des choses écrites sur les cartes postales et de mes carnets tenus pendant la résidence dans le lycée.

Une lecture publique le lundi 23 mai 2011 à 17h00, mêlant ma propre lecture à celles de certains étudiants désireux de ça et avec qui auront eu lieu des ateliers d’écriture (HO1 et VO1).

Dorothée Volut




Extrait :

Un grand vent souffle dehors, qui fait plier les cannes de Provence le long du petit canal.

J’ai fait peur à ma voisine : « C’est qui qu’est à côté ? ». Elle a cru que c’était un fantôme, mais c’est pas un fantôme : c’est moi. C’est moi chambre 212 à neuf heures du soir dans un internat de lycée agricole avec ma tisane aux coquelicots pour bien dormir, avec mon cahier et mon stylo comme une sage écolière à son bureau pendant que Madison révise son bac à côté, plus que deux mois, faut bosser maintenant, on m’a séparée de ma coloc parce que je bossais pas assez, c’est moi donc qui me demande comment ça se passera demain cette histoire de poésie en milieu agricole, cette histoire de rencontre entre les étudiants, pour quoi faire, à quoi ça sert Madame, et là Geneviève me répondrait « A quoi ça sert de respirer ? », ben oui à quoi ça sert de se rencontrer au fond est-ce qu’on a pas que ça à faire, se rencontrer dedans et dehors, soi et l’autre, l’autre et soi, à quoi ça sert de se promener émerveillée le soir au milieu du soleil couchant toute seule dans les champs fraîchement plantés en saluant le retour des pommes de terre, de pénétrer comme Alice au pays des Merveilles dans le tunnel opalescent des serres et de marcher sans y croire au milieu de la jungle des haricots grimpants, des fèves énormes, des oignons géants, en caressant chaque cosse, chaque bouton de fleur naissant, à quoi ça sert d’applaudir aux œillets multicolores, aux géraniums aux giroflées, de serrer la main d’une feuille d’estragon, de romarin, de menthe, de s’enivrer de tant de parfums à quoi ça sert, de courber la tête pour passer sous la tonnelle des arbres à kiwis et de découvrir les feuilles en forme de poire pour la première fois, d’être comme une enfant, de se gorger des ronds de lumière verte et duveteuse, là, à portée de la main comme des bonbons énormes, à quoi ça sert de faire deux fois l’aller-retour pour se laisser frôler par les basses branches de cyprès, puis de continuer dans le champ d’à côté en se frottant les yeux, franchir les ronces et marcher encore dans l’allée majestueuse des plants de courgettes, de fraisiers, retrouver mes pieds sur la terre dans cette lumière déclinante que j’ai bue chaque soir pendant trois ans dans mon petit jardin du Verdon quand j’avais fini de prendre l’eau au lavoir et que j’allais déposer l’arrosoir sous le grenadier près de l’épouvantail. A cette heure-ci Daniel doit faire un dernier tour dans son jardin. Demain il se lèvera avec le soleil comme chaque jour depuis qu’il est né. A quoi ça sert ?

Puis je relève la tête.

Tiens la nuit est bleue, Madison a fini de prendre sa douche.

La cime de l’arbre devant ma fenêtre se détache en ombre chinoise sur le ciel indigo. On dirait un bouddha qui agite ses bras multiples, très lentement comme ça avec le vent, oui, on dirait qu’ils sont plusieurs à me faire signe.

Dorothée Volut, extrait de Œillet de poète, livre objet réalisé pendant la résidence, 2011




voir aussi :
Toutes les interventions en 2010 - 2011 (École du Cipm)