ÉCOLE DU CIPM |
|
||
Du 2 octobre au 11 décembre 2014 à la Bibliothèque du Panier Place du refuge 13002 Marseille ------ A vous tous et toutes: Evelyne, Chantal, Annie, Claudine, Bernadette, et aussi à l'équipe de la bibliothèque du Panier, Maryline, Catherine et les autres, un grand merci pour votre participation, pour votre accueil, pour ces moments d'écriture passés ensemble. Chaque jeudi, entre le 2 octobre et le 11 décembre, je suis venue le coeur léger, contente de retrouver le lieu, son calme, sa sérénité, et contente de vous retrouver. Le thé et le café nous attendaient dans la salle, avec les petits gâteaux. Vous vous installiez, nous parlions un peu. Et puis, j'écrivais au tableau, des noms de poètes, de mots, des titres. Je vous donnais des phrases de départ, une consigne, et puis, vous vous ployiez dans votre texte, absorbés, inspirés, et les lectures ensuite donnaient à entendre des voix singulières, de très beaux textes sensibles et élaborés, que j'écoutais avec plaisir. Le premier jour, quand je vous ai dit que ces Impromptus au Panier porteraient sur l'écriture de poésie, vous m'avez répondu enthousiaste, que cela vous intéressait. Et oui, en effet, ce fut un beau parcours en compagnie de Eric Giraud, Olivier Domerg, Michèle Grangaud, Valère Novarina, Jacques Roubaud, Valérie Rouzeau, Reymond Ferderman, Nathalie Sarraute, Françoise Héritier, Leslie Kaplan, Francis Ponge, Jean-Jacques Viton, Joëlle Léandre et, pour cette dernière séance au cipM, de Ghérasim Luca. Je livre ici les poèmes produits lors de ces ateliers. Merci à vous pour votre confiance. Bien amicalement. — Sarah Kéryna. ---- A la manière de Francis PONGE C'était il y a bien longtemps de cela, mais cela pourrait tout aussi bien s'être passé hier ou ce jour, je marchais les yeux baissés et je la vis sur le bitume, blanche, portant cinq carreaux rouges, presque neuve, à peine salie par les brusques averses qui ne donnaient pas le temps d'ouvrir son parapluie. Je me baissais pour la voir de plus près : ma vision est bien mauvaise. Qui avait égaré cette chose ? Si encore elle avait représenté un roi, une reine même un valet, j'aurais pu prendre cela pour un signe du destin genre diseuse de bonne aventure : "Un homme puissant va surgir dans votre vie, vous allez bénéficier d'un avancement dans votre travail, méfiez-vous des personnes qui vous entourent …" Mais là, juste un cinq de carreau rouge. Pas de quoi en faire un fromage. Fromage blanc dans sa jatte posée sur une nappe blanche à carreaux rouges, campagne, pique-nique, soleil, douceur de vivre, bonheur simple. Bonnard, un tableau de Bonnard, la table, sur la table une nappe à carreaux rouge, au bout sa femme déjà folle, son chien quémandant un sucre. Une envie de voir des tableaux de Bonnard pour échapper à la grisaille glacée. Je regarde toujours la chose abandonnée qui éclate de santé sur le trottoir sombre. Quelque part, dans un jeu, il manque une carte. Il manque un cinq de carreau. Est-ce grave ? Peut-on tout même jouer à la belotte ? Faire une réussite ? Prédire le futur à quelqu'un qui a perdu le sien ? Un porte-bonheur abandonnant une poche ? Moi j'aurai choisi un as, un as de n'importe quoi. Tu es un as ! Tu es plein aux as ! Jouer, gagner, tout perdre et l'on se retrouve chez la cartomancienne. Je commence à avoir mal aux gambettes. Je me redresse. Je donne un coup de pied dans la carte qui tombe dans le caniveau. Elle est emportée par un filet d'eau sale vers un autre destin. Qui sait à quel jeu on joue dans la nuit des égouts ? Evelyne WILLEY *** Ma bouche aux lèvres fermées, toujours colorée de rouge, de rose, d'ocre, de vermillon, couleurs pulpeuses. Ne pas parler. Sourire étiré cachant ses dents et le fond de sa gorge. Ne pas se dévoiler. Ma bouche qui s'arrondit, parlant du bout des lèvres, les poussant légèrement en avant qui susurre des mots à un bébé. Doux mots mimant des baisers. Bouche sensuelle de l'intimité aux lèvres entrouvertes et légèrement mouillées. Ma bouche en société qui sourit en dévoilant ses dents. La voix est plus assurée, le timbre plus posé. Par ma bouche le besoin de parler, de communiquer, d'échanger, de cotoyer. Ma bouche, ce bel organe qui permet de goûter, d'avaler, de croquer, de sucer, d'apprécier toutes les saveurs à ma portée. Chantal Maarek *** Vais-je écrire une histoire cousue de fil blanc ou plutôt une histoire à dormir debout qu'il ne faudra surtout pas prendre pour argent comptant. En fait je m'aperçois que j'adore ces expressions du langage parlé. C'est tellement significatif. Point de grandes phrases ni de discours grandiloquants. Je fais le grand saut et je me lance dans mon récit. Je ne vais pas me prendre la tête à deux mains en attendant l'inspiration qui tarde à arriver surtout si mon texte ne paye pas de mine. En fait, ne pas donner l'impression de me la couler douce en recopiant simplement certaines expressions du langage courant obligeamment photocopiées et mises à ma disposition. Que diable, je n'ai pas du sang de navet. Il va bien falloir me lancer et faire le grand saut pour imaginer ce texte et cette histoire de restitution de conversation imaginaire. Je ne vais pas finir pas pleurer toutes les larmes de mon corps alors que j'ai commencé tout feu tout flamme. Dans un jardin public, plusieurs mamans sur des bancs, couvent du regard leurs enfants respectifs. Ceux-ci jouent dans le bac à sable... J'arrête là, sinon mes camarades vont bailler à s'en décrocher la mâchoire. Chantal Maarek *** Usage de la parole- A la manière de Nathalie Sarraute Elle avait répliqué d'un ton sec, mais tellement sec que je me suis d'un coup racornie : "Ton histoire c'est une histoire cousue de fils blancs". J'en suis restée baba. Moi qui croyais depuis toujours que c'était une amie, une bonne âme, la charité personnifiée, le cœur sur la main et la main tendue … J'avais tout déballé sans retenu, sans y mettre les formes, les choses comme elles sont dans leur plus simple appareil et elle … Elle qui jouait les blasée en sortant une métaphore de couturière à huit francs cent sous. "Cousue de fils blancs mon histoire" et pourquoi blanc et pas rouge les fils comme la couleur de mon désespoir amoureux ? Mon histoire d'amour étouffée dans l'œuf. Pas assez d'avoir pris une grande claque dans le cœur et des bleus à l'âme ? Elle pérorait "Une histoire cousue de fils blancs" une sorte de minuscule et ridicule napperon brodé par une vieille fille. Lamentable, pitoyable, à dormir debout mon histoire mais pas "cousue de fils blancs" ! Elle avait jeté le masque. Je voyais à présent clair en elle. C'était bien : mieux vaut tard que jamais. Je l'ai plantée là en lâchant "Puisqu'elle est cousue de fils blancs mon histoire tu peux t'en faire un linceul!" Evelyne WILLEY 26/11/2014 *** "Une main écrit, l'autre soutient le visage la joue dans la paume" La paume contre la joue Les doigts légèrement écartés Les ongles légèrement manucurés de rose Rose comme l'intérieur de certains coquillages Certains coquillages déposés sur le sable humide et blond Le léger clapotis de cette mer bleue bordée d'écume d'un blanc laiteux L'esprit apaisé par le flux et le reflux de l'eau Pendant que l'autre main tient des trois doigts un stylo Le stylo glisse sur la feuille blanche Le blanc laiteux de la feuille blanche se remplit de caractères bleus Bleu comme la mer L'horizon bleu au loin comme l'évasion de l'esprit et des mots qui s'inscrivent sur la page blanche Chantal Maarek *** Quand elle vous quitte J'ai compris qu'elle m'était essentielle lorsque je l'ai perdue. Comme c'est banal murmurez-vous. Je croyais la posséder, pour toujours, et puis un matin … Allez-vous donc évoquer l'amour et ses tourments ? Questionnez-vous, impatient. Si ce n'était que cela ! Je vais vous racontez ma voix. Ma voix qui un matin m'a quittée. Donc, ce matin là, j'ai voulu parler et rien. Des sons rauques intraduisibles, Des grognements, des déchirures de voix. A peine sorties ils retombaient dans le silence de mon gosier. Quelle frustration ! Je devais parler avec les mains, les yeux exorbités. "Quelle voix douce et charmeuse", "Un plaisir pour l'oreille", "Votre voix m'apaise" Que de compliments j'avais entendus ! Moi je répondais fièrement "Je l'ai beaucoup travaillée" et c'était vrai ! Je l'avais matée, domptée ma voix. Elle m'obéissait en parfait petit soldat. Un matin elle s'est rebiffée. Pour sûr elle était devenue trop fragile, Trop fatiguée Et moi qui ne voyais rien. Un tour de piste de trop. Elle m'a quittée. Deux mois à rester stupidement aphone. Deux mois à essayer de me taire. Quel exercice pour une bavarde. Qu'est-ce que deux mois ? Raillez-vous. Pour un moine cistercien, rien Pour quelqu'un qui a placé son avenir dans sa voix, une éternité. Elle est revenue timidement à force de cajolements Miel, foulard de soie, pas de discours les soirs brumeux Economie, économie de paroles. Je suis vigilante à présent. Je repère ses moindres faiblesses. Je suis à l'écoute de ma voix. En revanche je perfectionne mes regards … Evelyne WILLEY *** Aveux Partie de PRESQUE PAR HASARD à l'étranger Sans rien comprendre à la guerre. Erré longtemps à DUCHNORD guidée par la main impatiente de ma mère. Ballades à soubresauts sur la barre de vélo de mon père à PAVÉS D'ENFER LUISANTS. Bien connue rue des TERREURS ENFANTINES et traverse INTERDIT D'EXPLOIRATION. Boulevard DES GREVES, mon père à la maison. CARRE DE PATATES dans jardin ouvrier Purée tournée au MOULINET et pates à volonté pour remplir la FONDRIERE des assiettes. Mais je m'égare au carrefour de L'ENFANCE TRISTE. Bifurque déjà vers la montée de LA COLERE le menton haut et le verbe acerbe. Soleil exotique de la banlieue QUATREVINGTQUINZEHUIT CENTSOIXANTEDIX La SEINE prisonnière des usines avale les rejets chimiques soufrés et irisés. Porte JE DESSINE UN CŒUR ma craie en applique deux. Premier amour. Poème à mon petit voisin. Grimpé sur les échafaudages de L'ADOLESCENCE. Chute, rattrapée de justesse. HORIZON BOUCHÉ CONFLITS HAINE Sale parcours. Décide de rentrer dans MOI. FERME LA PORTE POUSSE LES VERROUS. Comme le furet Suis passée par ICI Et ressortie par LA. Déteste revenir sur mes pas. Au petit bois de LA RAISON Converse avec LE TEMPS QUI ECOUTE. Toujours pas trouvé la voie de LA PAIX Pas encore indiquée sur la carte de MA GEOGRAPHIE. Evelyne Willey *** Une main écrit, L'autre soutient le visage, La joue dans la paume, Et moi je te regarde Ma fille. Tu tires la langue, Petite limace rose, Une petite ride Entre tes yeux bleus. Que tu es sérieuse dans ton monde de légendes, De magies et féeries Peuplé d'animaux fantastiques, De chocolats chauds Et de crème chantilly. Et moi je t'envie d'être si jolie, Et je pleure De te voir grandir Ma petite fille. Laurent Dembert La poésie de l'oralité Chansonnettes Tu rire près des larmes Tu rivage sans vagues Tu charivari un grain de riz lancé au ciel. Petit bossu, beau petit bossu Petit bossu bosselé Mon beau petit bossu Dans mon lavabo s'est noyé. Tu as tué Mon tu et ton toi Dans le tunnel triste de la trahison J'ai tiré un trait et raturé ton nom. Sacrosaint scrofuleux croco Croquant, croquant à plein crocs, à belles dents Les crottes des croquemorts fringants. Baraké a volé Une nuit bastinguée Un bas de soie Baraké a étranglé Avec le bas de soie Sans joie la fille de joie Baraké embastillé Tout çà, tout çà pour un bas Un bas de soie. Sur le filin de la vie Enfile, ma fille, enfile Des perles de feu Le fil de lin des heures filantes s'effiloche et Ma fille, ma fille Fais fi des faiseurs de fables et Enfile, ma fille, enfile Des perles de feu. Evelyne Willey |
||