MANIFESTATIONS

Le noir et le bleu


Paul Cézanne / Hubert Lucot


le vendredi 15 septembre 2006, à 19h

Lecture / rencontre avec :
Hubert Lucot



“Devenir Cézanne”, par Didier Garcia in Le Matricule des Anges, extrait.

On ne trouvera pas dans ces pages ni une monographie ni un essai sur Cézanne, en cette année où l’on célèbre le centenaire de sa mort (1839 – 1906), mais un bouquet de réponses à la question : que fut Cézanne pour l’écrivain Hubert Lucot ? L’écrivain profite de l’occasion pour rendre hommage à celui qu’il tient pour son « maître » (le mot est lâché dès les premières lignes), et qu’il a découvert à l’âge de 19 ans, en 1954, année durant laquelle Venise lui révèle Tintoret. Mais Lucot en profite aussi pour replonger dans son œuvre autobiographique, renouant notamment avec le geste augural du Grand Graphe, livre d’une seule page d’environ 12 m2, aux allures de montagne Sainte-Victoire sur fond blanc, et dont la composition a bien sûr à voir avec la peinture. Le lecteur se trouve ainsi propulsé (mais tout en douceur) dans une flânerie qui l’entraîne d’une œuvre à l’aitre, suivant en quelque sorte le devenir artistique de deux hommes qui auront eu en commun d’avoir peiné à se trouver.


“Sans dieu ni maîtres”, par Hubert Lucot,
extrait de Le Noir et le Bleu – Paul Cézanne, éd° Argol, 2006

J’écris depuis l’age de huit ans (1943). J’ai lu Stendhal à douze ans, Proust à seize,... Ulysse à dix-huit ans peu après Rimbaud (on verra le rapport avec les deux “poètes”)... Mon maître est plutôt Cézanne. En 1954 (j’avais dix-neuf ans), il s’est imposé, doucement, comme un trou (halte, pause). Mes camarades et les amis non incultes de mes parents s’étonnaient de mon enthousiasme : “Chauds Renoir (femmes vaporant du roux sur du vert”), Van Gogh (la pipe, le Midi, l’édredon), froid Cézanne, intellectuel”, un Mallarmé figuratif et solaire dans l’ombre des pins.

Mes fréquentations staliniennes le condamnaient, brandissant vengeurs le chapeau et la redingote du rentier fils de banquier.

En 1954, à dix-neuf ans, alors que je poursuivais des études de lettres qui ne me satisfaisaient pas et dont les échecs auguraient mal de mon avenir matériel, je me suis englouti dans la lecture, absorbant notamment tout La Comédie Humaine. J’avais renoncé au « rimbaldisme », poésie éjaculatoire qui affrontait l’objet en découpant des angles cubistes vivement composés sous l’influence de Van Gogh et de Picasso, et je me plaisais dans la discontinuité de Fines Remarques dont les majuscules anglaises F et R ne quittaient pas mon esprit. Des F R l’idéal était celui que je prêtais à Stendhal, dont j’avais lu tous les marginalia, innombrables, avec une forte émotion (le 5 janvier 1830 : « le défaut de Dominique (=Stendhal) : charge sa page d’idées jusqu’à ce qu’elle coule au fond. ») et à Mallarmé crayonnant au théâtre (« J’aurais aimé, avec l’injonction de circonstances, mieux qu’oisivement, ici noter quelques traits fondamentaux. »)

La discontinuité – je décale : l’inachèvement – n’était pas un idéal, mais un fond, le fond du tableau que j’écrirais peut-être un jour.




lire aussi :
149


écouter :
Le noir et le bleu – Paul Cézanne (extrait)